Les origines
Depuis la nuit des temps, les humains cherchent au maximum à économiser leurs efforts pour atteindre leurs objectifs et assouvir leurs besoins.
Déjà les fauves chassaient (et chassent encore) les animaux vieux, malades ou juvéniles, parce que c’est plus facile. Les grands primates utilisent des outils pour accéder à une nourriture difficile d’accès. Et pour les humains, il s’est avéré être plus facile de dépecer un animal avec une pierre taillée qu’avec ses dents… De même, les sagaies ont servi à lancer les javelots plus loin avec plus de facilité, etc.
Bref, les humains cherchent à se faciliter la vie. Toutefois, cela ne passe pas que par la conception et l’amélioration d’outils toujours plus faciles à utiliser et efficaces. En effet, si l’on prend en exemple les vêtements, ceux-ci assurent en premier lieu des fonctions de protections du corps (chaud, froid ou toutes autres formes d’agressions extérieures). Ils servent aussi à dissimuler ou mettre en valeur certaines parties de notre corps. Ils peuvent également, de par leurs couleurs, matières, agencements ou accessoires être plus ou moins agréables à porter, jusqu’à véhiculer une part de ce que l’on est (statut social, humeur, personnalité, culture, religion ou plus simplement, un certain goût esthétique).
Les temps modernes
La volonté de faciliter sans cesse la réalisation des tâches a conduit de l’amélioration des outils à la création de machines, plus spécialisées, mais aussi plus complexes et couteuses, les reléguant pour l’essentiel à la sphère professionnelle. C’est ainsi qu’est née l’ergonomie au XIX siècle dans un contexte de compréhension de la pénibilité du travail dans les usines. L’ergonomie (du grec ergon – travail – et nomos – lois, règles) consistait originellement à adapter les conditions de travail et les outils aux travailleurs, pour ne pas nuire à la santé les ouvriers. L’ergonomie s’est développée à partir de la seconde guerre mondiale.
Wisner (1950) en donne la définition suivante :
« Ensemble des connaissances scientifiques relatives à l’homme nécessaire pour concevoir des outils, des machines et des dispositifs qui puissent être utilisés avec le maximum de confort, de sécurité et d’efficacité ».
Néanmoins, l’évolution des conditions et des situations de travail a conduit l’ergonomie à se réinventer. De fait, il ne suffit plus seulement d’adapter les machines aux opérateurs pour améliorer de façon globale leurs conditions de travail. C’est pourquoi l’ergonomie s’est spécialisée dans les différents champs des activités professionnelles :
- Ergonomie physique : Etude des caractéristiques anatomiques, anthropométriques, physiologiques et biomécaniques des humains dans leurs relations avec l’activité. Elle traite des postures de travail, manipulations d’objets, mouvements répétitifs, poste de travail, etc.
- Ergonomie sociétale ou organisationnelle : Etude des systèmes socio-techniques, des structures organisationnelles, définition des règles et processus de travail. Elle traite de la gestion des ressources humaines, de la communication, des horaires et rythmes de travail, du travail en équipe, etc.
- Ergonomie cognitive : Dernière-née de l’ergonomie, afin de s’adapter aux questions spécifiques que pose l’utilisation des systèmes d’information et de leurs terminaux, elle étudie les processus mentaux liés à l’activité de travail (perception, mémoire, raisonnement, plus récemment les émotions et la volition).
Pour autant, ces différentes sous-disciplines de l’ergonomie sont perméables entre elles, et il serait illusoire de vouloir les cloisonner : elles abordent les diverses facettes de l’expérience vécue par les humains dans leurs situations de travail.
Aujourd’hui
Le champ de l’ergonomie s’applique à présent à tous types de machines, y compris logicielles, que l’usage en soit professionnel ou grand public.
Désormais, la diffusion de l’outil informatique au grand public, permis par l’accomplissement de la loi de Moore, a fait passer en quelques décennies des cartes perforées aux interfaces par lignes de commandes, interfaces graphiques et écrans tactiles jusqu’à la réalité virtuelle augmentée de nos smartphones !
En conséquence, l’utilisation des outils informatiques (et plus spécifiquement digitaux) a quitté la seule sphère professionnelle pour accompagner leurs utilisateurs en tous temps et en tous lieux. C’est en précurseur de cette tendance que Don Norman a inventé la notion d’expérience utilisateur (UX) dès 1988 dans The Design of Everyday Things. Aujourd’hui, les services digitaux accompagnent chaque individu dans l’accomplissement de leurs besoins, tels que formulés par Maslow :
By Antimuonium [CC BY-SA 3.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)], from Wikimedia Commons
Effectivement, les services digitaux peuvent nous permettre de réaliser ces différents besoins, plus ou moins facilement, de la même façon que les humains de la préhistoire cherchaient à le faire en leur temps. Un arc pouvait ainsi être un outil de chasse indispensable à l’assouvissement de besoins physiologiques tels que manger, tout en portant une certaine valeur d’expérience d’usage (besoin d’appartenance ou d’accomplissement). De la même façon, un smartphone ne sert pas qu’à téléphoner, et peut véhiculer le statut social ou le groupe d’appartenance de celui qui l’utilise. Ce qui dépasse de loin ses fonctions premières.
Définir l’expérience utilisateur
Il est encore difficile, aujourd’hui, de trouver un consensus pour définir la notion d’expérience utilisateur. Pourtant l’expérience utilisateur fait l’objet d’une définition normative portée par la norme iso 9241-210. Nous la reproduisons ci-après in extenso :
“Ensemble des perceptions et les réactions d’une personne qui résultent de l’utilisation ou de l’utilisation prévue d’un produit, d’un système ou d’un service.
L’expérience utilisateur est une conséquence de la présentation, des fonctionnalités, des performances, du comportement et des capacités d’assistance du système interactif. C’est également une conséquence des utilisateurs avant même l’expérience à proprement parlé, notamment de par leurs opinions, leurs compétences et leur personnalité.
L’utilisabilité, lorsqu’elle est considérée dans la perspective des objectifs personnels des utilisateurs, peut inclure ces aspects perceptifs et émotionnels généralement associés à l’expérience utilisateur. Les critères d’utilisabilité peuvent être utilisés pour évaluer les aspects de l’expérience de l’utilisateur.”
Nous attirons l’attention sur l’accent qui est mis sur “l’utilisation prévue” du produit. En effet, l’expérience utilisateur commence AVANT l’utilisation du service à proprement dite. Ainsi, tout le travail fait en amont de la conception de l’interface, en termes de marketing, communication et image de marque va être déterminant dans l’élaboration de l’expérience d’usage. Ceci permet de prendre conscience qu’il est tout-à-fait réducteur de cantonner l’expérience utilisateur à la seule utilisabilité, représentative de l’expérience PENDANT l’usage. Cette dimension explicative reste toutefois centrale, et souligne la forte filiation qui existe entre ergonomie, esthétique, fiabilité technique et UX. C’est pourquoi Smashing magazine représente l’expérience utilisateur comme ci-dessous :
On retiendra également l’importance à accorder aux caractéristiques personnelles des utilisateurs en tant que personnes (opinions, compétences et personnalité) en termes de connaissances antérieures et de besoins (latents ou exprimés). Cela implique d’adopter une méthode conception-centrée utilisateurs au sens le plus large du terme, prenant autant en considération les aspects esthétiques, techniques, hédoniste, sociaux, politiques ou culturels que pragmatiques et fonctionnels des usages. Ce n’est donc pas un hasard si la norme ISO 9241-210 traite de la “conception centrée sur l’opérateur humain pour les systèmes interactifs”. Cette définition explique ce qu’est l’expérience utilisateur mais ne la confond pas avec les méthodes (créatives ou évaluatives) qui permettent d’y aboutir.
Conclusion
Au final, quelle que soit la définition que chaque UX designer peut choisir de donner à l’objet de sa pratique professionnelle, il nous semble utile de se référer à ce qu’en dit son inventeur, Don Norman lui-même, dans la vidéo suivante :
Ici aussi, cette précision de Norman ne donne pas plus d’indications sur la façon d’aboutir à une bonne expérience utilisateur, et encore moins de la mesurer. C’est pourquoi, dans le prolongement d’Eason (1984) selon lequel « le meilleur indicateur de l’utilisabilité est l’utilisation effective du produit », nous considérons aujourd’hui que la meilleure mesure de l’expérience utilisateur est est son utilisation effective. C’est comme cela que lorsqu’un service a trouvé sa cible, l’expérience contribue aux objectifs de performance et de retour sur investissement des éditeurs de services et de contenus digitaux.