Ce terme est apparu au début des années 80. Auparavant, on parlait de « convivialité des interfaces » (user friendly). Cet emploi a disparu à cause de son manque de clarté et de sa connotation subjective. On peut définir l’utilisabilité comme étant, dans son sens le plus large, la facilité avec laquelle un individu peut utiliser un objet donné de sorte qu’il accomplisse un objectif fixé. L’utilisabilité est une dimension explicative centrale de l’expérience utilisateur des produits et services digitaux.
Toute la difficulté à appréhender la notion d’utilisabilité réside dans l’hétérogénéité des métiers qui se l’ont intégrée (ergonomes, conception centrée utilisateur, marketing, ethnologie, développement, direction artistique, etc.) et qui la définissent par des moyens nombreux (études de terrain ou de laboratoire, tests utilisateurs, mesures objectives, questionnaires, enquêtes…) et à des fins qui le sont tout autant (image de marque, ROI, accessibilité, démarche qualité, amélioration de conditions de travail, etc.). De fait, depuis la publication de Usability Engineering (Nielsen, 1993), les références portant sur l’utilisabilité des systèmes d’informations se comptent en milliers, faisant parfois d’elle, une notion « fourretout », ou, pour le moins, sujette à débat.
Origine du concept d’utilisabilité
Historiquement, l’ergonomie (du grec ergon, travail, et nomos, savoir, règles) propose dès le début du XXe siècle, d’étudier l’adaptation du travail à l’homme. La diversité des situations de travail ont imposé à cette discipline son caractère pluridisciplinaire. Le travail d’antan étant plutôt physique et répétitif, le champ d’intervention ergonomique relevait principalement des compétences des médecins et physiologistes. Grâce à l’automatisation de nombreuses procédures et aux progrès de la robotique, le travail est devenu davantage mental, impliquant principalement une activité humaine de contrôle et de supervision.
Cette transformation du travail n’a pas été sans susciter de nouveaux problèmes aux opérateurs : surcharge mnésique, contraintes perceptives et attentionnelles, etc. L’étude de l’utilisabilité s’inscrit donc dans la lignée des travaux en ergonomie ainsi que dans l’histoire de la diffusion de l’outil informatique au grand public : expurgée de la dimension « travail » de l’ergonomie (impliquant notamment des aspects tels que sécurité et santé), l’utilisabilité va s’attacher à rendre compte de l’adéquation d’une interface avec les capacités perceptivo-motrices, cognitives, et plus récemment, émotionnelles des individus. Cependant, si l’on a pu constater que l’utilisabilité était de plus en plus synonyme de « qualité générale d’un service », la popularisation récente de la notion d’expérience utilisateur l’a depuis dépossédée de cette attribution.
Un attribut des produits acceptables
La norme ISO 9241 définit le standard international d’« exigences ergonomiques pour le travail de bureau avec terminaux à écrans de visualisation ». Si toutes les parties de cette norme n’ont pas fait l’objet d’une adhésion unanime de la part de la communauté de recherche sur les IHM, la partie 11 « lignes directrices relatives à l’utilisabilité », en dépit de son orientation sur les terminaux à écrans pour le travail de bureau, est applicable à de très nombreuses situations d’interaction homme-machine. Nous considérons donc qu’elle est à même d’éclairer tout types de problèmes d’utilisabilité relevant de l’usage des services digitaux, même s’ils n’ont pas vocation à ne servir qu’au “bureau”.
La norme ISO 9241-11 s’assigne pour fonction de permettre la conception et l’évaluation de l’utilisabilité de produits, de sorte que leurs utilisateurs puissent accomplir les objectifs qu’ils se fixent, et ce, dans un contexte donné. L’utilisabilité y est définie comme « le degré auquel un produit peut être utilisé par des utilisateurs donnés pour accomplir des buts précis avec efficacité, efficience et satisfaction dans un contexte d’utilisation particulier » (notre traduction).
Ce standard de recommandation est vraisemblablement l’outil de caractérisation et d’évaluation de l’utilisabilité le plus abouti : outre les définitions rigoureuses de chaque concept évoqué, la norme ISO 9241-11 fournit également une méthodologie très précise d’évaluation, de la spécification des tâches, des utilisateurs, des buts, de l’environnement ou des équipements, jusqu’aux mesures à réaliser.
Or, justement, notre intérêt pour le concept d’utilisabilité se situe dans la possibilité de l’opérationnaliser dans une démarche d’évaluation :
- Efficacité : C’est l’exactitude et le degré d’achèvement avec lesquels les utilisateurs vont accomplir les buts et sous-buts fixés. Elle mesure l’utilisabilité sous l’angle du produit de l’interaction. L’exactitude renvoie à la qualité du résultat (e.g. nombre d’erreurs), tandis que l’achèvement relève de la quantité produite en fonction des objectifs. Elle peut aussi être mesurée en pourcentage de buts accomplis ou pourcentage d’utilisateurs ayant accompli avec succès la tâche qui leur était assignée.
- Efficience : Il s’agit des ressources engagées en regard de l’exactitude et du degré d’achèvement avec lesquels les utilisateurs accomplissent leurs tâches. Ces ressources se traduisent aussi bien en tant qu’effort humain, temps passé, et coûts engendrés. L’idée d’effort humain requiert une attention particulière. Il peut être à la fois physique, et mental. Il est tout à fait envisageable d’en faire des mesures distinctes, subjectives et objectives (physiologiques, par exemple). Plutôt que d’approfondir cette voie, la norme préconise de s’intéresser à la charge de travail que différents outils, parmi lesquels le NASA-TLX, mesurent avec précision. L’efficience y est à la fois temporelle, humaine, et économique. Chacune de ces mesures est le quotient d’une mesure d’efficacité divisée respectivement par le temps passé, la charge de travail ou les coûts additionnés de ce travail (formation, matériel, salaires…) :
- Efficience temporelle = efficacité ÷ temps d’accomplissement
Efficience humaine = efficacité ÷ effort
Efficience économique = efficacité ÷ coût total (à noter que si l’idée d’efficience économique est juste sur le plan théorique, elle ne peut, dans la pratique, s’appliquer à l’utilisateur lambda. En effet, le prix d’achat du matériel fait souvent figure de variable couperet. L’idée d’efficience économique renvoie alors à la notion d’amortissement, plus applicable au monde du travail).
Efficacité (%) = (exactitude × achèvement)/100
- Satisfaction : C’est le confort et les attitudes relatives à l’usage. La norme 9241-11 reste assez évasive quant aux mesures à effectuer. Pour la satisfaction, elle envisage des échelles d’évaluation subjective associées à des techniques d’enquêtes et d’observations sur le terrain pour attester de l’usage effectif. Est également évoquée la possibilité de relever des commentaires pendant l’interaction, les postures et comportements, ou bien encore d’évaluer l’acceptabilité de la charge de travail induite.
Conclusion
La norme ISO 9241-11 ne précise pas quelle contribution chacune des dimensions (efficacité, efficience et satisfaction) va avoir sur l’utilisabilité globale, ceci pouvant dépendre à la fois de la mesure et du contexte. D’ailleurs, il n’y a, selon elle, pas d’utilisabilité intrinsèque au produit, seulement une possibilité d’être utilisée pour un contexte donné. L’utilisabilité n’a d’intérêt que dans sa mise en relation avec l’utilité et l’acceptabilité puisqu’il n’est pas possible de faire des mesures absolues d’utilisabilité. A titre d’exemple, il est impossible de comparer l’utilisabilité d’une console de jeux et celle d’un panneau de contrôle aérien. C’est toute l’importance de la prise en considération du contexte qui se joue ici, avec, à la clé, l’intention d’utilisation effective par l’utilisateur.